Le voyage à l’Opéra de Paris était l’occasion de faire plus ample connaissance avec Christelle Valadou, professeure de danse au CMDA.
Christelle (à gauche) avec Caroline Heslouis lors du voyage à l'Opéra de Paris |
APE : Christelle, présentez-vous, quelles sont vos fonctions au CMDA ?
CV : Christelle Valadou, professeure de danse classique au Conservatoire depuis 11 ans. J’ai été Responsable du Département Danse pendant 3 ans, mais je ne le suis plus depuis … aujourd’hui !
APE : Racontez-nous votre parcours de danseuse et de professeure.
CV : J’ai commencé la danse à 5 ans. (NDLR : désolés, malgré nos demandes répétées, Christelle n’a pas été en mesure de nous fournir des photos d’elle enfant danseuse, « mes parents ne faisaient que des films » nous a-t-elle dit !). Et j’ai toujours voulu être professeure de danse. Ma professeure de l’époque m’a dit que ça ne servait à rien de partir dans une grande école alors je suis restée à Laval, à l’école municipale de danse, jusqu’au Bac. Comme j’ai tout de suite voulu faire prof de danse, j’ai essayé de prendre le maximum de cours. J’ai rapidement pris un cours par jour, dès le collège. Mais il n’y avait pas de CHAD, c’était sans aménagement d’horaires. Le contrat avec mes parents était : « si ça marche bien à l’école, tu prends autant de cours de danse que tu veux ». Donc ça a bien marché à l’école !
APE : Mais vous n’avez jamais eu le rêve de devenir danseuse étoile ?
CV : Non, on m’a tout de suite dit que ce n’était pas envisageable car je n’avais pas le physique à la base. Pour être danseuse classique, il faut aussi de grandes capacités naturelles que je n’ai pas du tout.
CV : Il faut d’abord de l’inné et ensuite beaucoup de travail. Mais si on n’a pas l’inné, en classique, ce n’est pas possible. C’est complètement « bouché » en classique donc il n’y a de la place que pour les tous meilleurs. En plus je ne suis pas d’un milieu artistique du tout, mais d’un milieu de comptables, où la danse « n’est pas un métier ». A la limite, dans « professeure de danse » ça va, car il y a « professeure » !
CV : Je ne me rappelle pas mais ma Maman m’a raconté que quand j’étais petite il fallait que je ne porte que des robes qui tournent. Et je passais mon temps à tourner. Donc il fallait absolument que je danse.
APE : Et pour devenir professeur ?
CV : Après le Bac, il n’était pas facile à Laval, de trouver des renseignements sur les cursus. J’ai voulu aller à Paris car c’est surtout là que la danse classique est vivante. Et ça je ne regrette vraiment pas. En fait ce sont des écoles privées qui préparent au Diplôme d’Etat. J’ai auditionné dans plusieurs d’entre elles. Dans une école, ils m’ont trouvée formidable, alors je me suis dit, « je ne vais surtout pas aller dans celle-là car si ils me trouvent formidables, c’est que eux ne doivent pas l’être !!! » En fait, j’étais pertinemment consciente que je n’avais pas le niveau. Quand j’ai quitté l’école de danse de Laval, j’ai pris mon dernier cours avec mon professeur et quand je lui ai dit au revoir après beaucoup d’années à travailler avec elle, elle m’a dit : « Bah écoute, si tu crois que tu vas y arriver …. ». Je ne lui ai plus donné de nouvelles après ! Et je suis convaincue qu’elle ne m’a pas envoyée plus tôt parce qu’elle voulait me garder comme « moteur de cours » et je ne lui pardonnerai jamais ça. Moi quand j’ai un élève qui en veut et qui a du potentiel, je l’envoie ailleurs. Ce n’est pas en restant toute sa vie à Aurillac qu’on peut faire carrière dans la danse classique, il faut aller ailleurs, quitte à revenir après.
Par contre, je suis allée dans une école qui m’a fait très bonne impression et je ne regrette pas. C’est Madame Goubé mère qui m’a reçue avec son fort accent écossais. Il y avait sa fille aussi. J’ai fait ce que j’ai pu avec la conscience de ne pas avoir le niveau. Après, elles m’ont reçue avec mes parents et Mme Goubé m’a dit : « tu sais, il fait quoi comme métier ton papa, il est routier ? Je crois qu’il est meilleur que toi ! Mais si tu en veux, dans 7 ans tu pourras avoir l’examen, pas avant, et il faudra que tu travailles plus que les autres. »
En fait pour avoir un Diplôme d’Etat de professeur de danse, il faut passer l’EAT, Examen d’Aptitude Technique et ensuite on passe des UV plus théoriques d’anatomie, de musique et d’histoire de la danse et enfin, l’UV de pédagogie. La barrière pour moi, c’était l’EAT. C’est une variation à peu près identique à celle demandée en fin de 3ème cycle mais les attendus ne sont bien sûr pas les mêmes. Pour un danseur de l’Opéra de Paris, il leur suffirait de travailler une fois la variation et ils l’auraient ! Mais on ne joue pas dans la même cour, ce n’est pas le même univers.
Mais Yvonne et Jennifer Goubé m’ont laissé ma chance. Elles m’ont proposé de me prendre une année à l’essai et de faire le point à la fin du 1er trimestre car, comme c’est une formation privée, il ne fallait pas dépenser de l’argent pour un objectif utopique. Ce fut très très dur : 6 ans de travail sans statut (car tant qu’on n’a pas l’EAT, on n’est pas considéré comme étudiant). Mais j’ai eu mon EAT, au bout de 6 ans, après 3 ou 4 échecs et mes autres UV l’année suivante, soit au bout de… 7ans ! C’était très lourd. Le travail journalier, les échecs, mais aussi, c’est très pesant de ne pas avoir de statut dans la société, on est dans la case « autreS » dans les papiers administratifs, on n’est pas considéré.
APE : On imagine qu’après 6 années, la réussite de cet EAT a donné lieu à une grosse fiesta !
CV : Oui et puis j’ai obtenu les UV théoriques très facilement. J’avais « mangé » ces UV théoriques pendant 7 ans ! J’ai eu entre 17 et 19 à ces UV.
APE : Et donc pendant ces 7 années cela représente combien d’heures de travail par jour ?
CV : En moyenne 4 cours d’une heure et demie, soit 6 heures de danse par jour, plus les cours théoriques : environ 3 heures par jour.
Après mon diplôme, j’ai cherché une place en région parisienne mais c’était trop compliqué avec les transports et finalement je suis tombée sur une annonce pour un remplacement de Mme Mouline, ici à Aurillac. J’ai répondu, je ne savais pas si j’allais être retenue mais en fait j’ai été la seule à répondre !!! Je suis descendue de Laval avec toutes mes affaires même sans avoir fait la première rencontre avec Patrice Couineau. Je l’ai rencontré et il m’a dit « la réunion de rentrée, c’est cet après-midi ». C’était en septembre 2005.
L’après-midi c’était la première rencontre avec Madelyne Réant (Izoulet) avec qui ça a tout de suite bien collé. Et j’ai découvert que j’étais la seule professeure de danse classique du Cantal ! Ça n’a pas changé depuis.
APE : Est-ce que vous avez une autre pratique qu’en tant que professeure au CMDA ?
CV : En fait étant la seule professeure de danse classique dans le Cantal et ayant un emploi du temps qui va du lundi au samedi, cela restreint beaucoup la possibilité de faire autre chose. Il y a eu les « Danseurs du temps », ensemble de danse ancienne. Mais je n’y vais plus vraiment, avec deux enfants, la priorité c’est d’avoir du temps avec eux le dimanche.
Christelle dansant une gigue du répertoire baroque avec les "Danseurs du temps" Tessieu juillet 2009 |
APE : Trouvez-vous le temps de vous entraîner ?
CV : C’est compliqué aussi et c’est donc un vrai bonheur de pouvoir prendre un cours avec quelqu’un d’autre comme par exemple la semaine dernière lors du stage de danse baroque dans le cadre du spectacle « Que ma joie demeure ». C’est si agréable de se laisser porter par quelqu’un d’autre et obéir à ce qu’il demande est beaucoup plus facile que de s’entraîner par soi-même.
APE : Quel style de danse ou quels types de chorégraphie vous plaisent particulièrement ?
CV : A regarder, je suis assez ouverte. J’aime beaucoup regarder le hip hop mais je serais dans l’incapacité de le pratiquer ! Jazz aussi j’aime bien, contemporain, j’aime beaucoup sauf quand c’est trop dépressif. Heureusement il n’y a pas que ça, par exemple, « Sublime » était … sublime ! En fait j’aime sortir d’un spectacle en ayant envie de danser. Sortir d’un spectacle en ayant envie de me mettre sous ma couette et de pleurer, ça je n’aime pas ! J’adore les danses de caractère aussi. En ce qui concerne les troupes (russes le plus souvent) qui tournent et proposent des grands classiques du répertoire, elles ont le mérite d’exister et de permettre à un certain public qui n’irait jamais dans une grande maison d’opéra de découvrir cet univers. Mais quand on a connu ces mêmes œuvres dans un grand opéra, ça pique un peu les yeux et les oreilles !
APE : Quand on va voir un spectacle de danse et qu’on est une danseuse professionnelle, arrive-t-on à se laisser emporter ou reste-t-on dans l’analyse ?
CV : On peut se laisser emporter mais il faut qu’il y ait de la matière en face !
APE : Le CMDA a à peu près une situation de « monopole » dans le domaine de la musique mais pas dans celui de la danse. Comment cela se passe-t-il avec les autres écoles ?
CV : En danse classique je suis la seule diplômée d’Etat dans cette discipline et à proposer un cursus. En danse contemporaine, nous sommes les seuls à proposer un cursus avec 2 cours par semaine. De plus, le contemporain des uns est souvent très différent du contemporain des autres : l’appellation est la même, mais pas le contenu. Donc il n’est pas question de concurrence entre les uns et les autres. Donc, pour répondre à votre question, avec les autres écoles, ça se passe bien. J’aime bien, quand mon planning me le permet, aller voir les spectacles des autres, en particulier celui de « Chorège ». De plus, nous nous voyons régulièrement, par exemple, pendant les Rencontres Chorégraphiques Départementales organisées par Cantal Musique et Danse et il y a une bonne entente entre les professeurs.
Pendant longtemps, la danse n’était pas très bien reconnue au CMDA, il fallait toujours faire remarquer, y compris en réunion plénière, que nous sommes un Conservatoire de musique …. ET de danse. Mais depuis quelques années, ça va nettement mieux, notre Directeur souligne toujours l’importance de la place de la danse.
CV : Un autre professeur de danse classique et plus d’heures ! Dans ce cas, j’ouvrirais bien des cours de danse ancienne. Avoir un studio de plus.
APE : Une autre spécificité du Département Danse, c’est le grand spectacle de fin d’année. Expliquez-nous un peu la genèse de chaque projet.
CV : On est supposé avoir le thème du spectacle au moins un an avant. Il faut que ce soit un thème suffisamment large pour créer une vingtaine de chorégraphies différentes. On laisse du temps à la rentrée pour prendre la température des classes, en fonction de la motivation, du niveau. Donc on prend le premier trimestre pour avancer dans la technique. Puis en général on prend les vacances de Noël pour trouver toutes les musiques, les chorégraphies, les costumes. Je pars d’une page blanche car le répertoire classique est d’un niveau inaccessible à nos élèves, même en 3ème cycle. Ces derniers ne peuvent pas, avec deux cours par semaine, réaliser des chorégraphies que font des élèves travaillant tous les jours. Ou alors il faudrait déformer ces chorégraphiques pour les rendre accessibles et moi je m’y refuse. C’est donc du travail sur mesure qui dépend aussi de l’effectif et du niveau de chaque groupe.
Donc à partir de janvier on commence à travailler le spectacle et puis au fur et à mesure que l’année avance, on ne fait plus que préparer le spectacle. Mais bien sûr, dans les chorégraphies, je mets mes attendus techniques, pas trop élevés pour ne pas mettre les élèves en difficulté en public mais pas trop faciles non plus pour qu’ils continuent à progresser et que l’année ne se termine pas en février.
Christelle avec Julie Decoin lors du spectacle de danse 2015 |
APE : Avez-vous déjà essayé de mener des projets avec les musiciens ?
CV : Ce n’est pas si simple. Mes premières années ici, nous avions réalisé des spectacles de fin d’année accompagnés par l’orchestre symphonique (il y a une fosse au Théâtre). Mais nous avons demandé à ne plus le faire car il est trop difficile de préparer un spectacle sans avoir répété avec eux. Les danseurs travaillent avec un CD, sont habitués à un tempo de métronome et ensuite, avec les vrais musiciens lors du spectacle, tout est très différent et les danseurs sont mis en grande difficulté.
CV : En contemporain, il y en a eu par exemple Justine Chazoulle, qui est devenue professeure de danse contemporaine. En classique, il n’y en avait pas eu jusqu’à tout récemment, mais cette année, la petit Romane Trouiller est partie tenter l’entrée à l’Ecole de l’Opéra de Paris en novembre dernier, elle l’a ratée mais elle est dans un « vrai » danse-étude et son objectif est toujours de rentrer à l’Opéra de Paris. Elle a d’ailleurs été repérée et recrutée pour danser dans le Casse-noisette de Benjamin Millepied à Garnier l’année prochaine. Je suis très fière d’elle !
APE : Quels sont les prochains projets ?
CV : Normalement, les Rencontres Chorégraphiques Départementales au Théâtre fin janvier. Ce sont les élèves de 3ème cycle qui participent. Le thème est « faut voir », il faut sortir des habitudes et relier notre création à la programmation culturelle. En profitant du spectacle « Que ma joie demeure », du stage de danse baroque, du voyage à l’Opéra de Paris, j’ai voulu travailler sur l’intangibilité de la danse classique, contre l’idée fausse que la danse classique c’est toujours pareil, tutu, pointe etc. J’ai essayé d’écrire une chorégraphie qui démarre en baroque, berceau de la danse classique et qui petit à petit évolue pour passer du romantique au classique et au néo-classique. C’est un gros travail parce qu’on monte 5 chorégraphies en parallèle.
APE : Christelle, c’est du bonheur d’enseigner la danse ?
CV : Ah oui ! Mon envie, mon bonheur d’être professeur de danse restent intacts. ll y a des côtés administratifs qui me grignotent petit à petit mais j’adore la situation de travail en studio de danse.
APE : Je crois que vos élèves le ressentent bien !
CV : En tout cas, ils doivent ressentir que je me donne à eux car je ne suis pas toujours très ……. mais je leur dis que tant que je suis sur leur dos c’est que tout va bien. Le jour où je ne m’occupe plus de vous, inquiétez-vous !
super,on a adoré ce reportage , encore bravo !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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